Une herméneutique du regard.

Pascal Giraud
C’est la mer et la montagne, à ce que nous disent les deux artistes. L’un peintre, l’autre photographe.. Ce sont des marques, des signes, des traits et des couleurs que nous, regardeurs ,  percevons sur la toile ou le papier photographique. Certes les photo semblent plus explicites que les toiles.
  Fred Furgol nous dit que c’est la mer mais nous ne sommes pas obligés de le croire, de souscrire à ses choix . Parmi les ressemblances qui nous sont proposées on peut préférer l’horizon, le ciel, ou même le minuscule voilier qui s’invite en contrepoint de la lune égarée dans un autre tirage.
Fred Furgol continue ainsi de jouer avec le langage et d’appeler mer, ce qui est aussi un groupe de nuages, ou une spirale d’écume.
   Certes les photos ont été toutes prises du même angle face à la mer, en Corse. Concédons lui cette certitude. Cette signature. Comme celle de la toile qui fait dire, « c’est un Picasso », et pas seulement, « c’est un portrait ».
  La mer s’est imposée à la ligne, à la couleur, à la lumière, pour une éphémère victoire sur laquelle nous reviendrons après un détour par le Portugal et le parc naturel de Serra d’Aire, d’ou Georges Franco a peint le même versant du massif montagneux en plusieurs version. Soit in situ, soit d’après des photo qu’il a lui même prises.
   Pour parler un peu technique le paysage est d’abord réalisé à l’aquarelle de manière assez classique, dans un strict respect des canons du figuratif. Il est ensuite difficile de juger de la qualité de celui ci car il est repris , enfoui sous de multiples couches de peinture à l’huile mixable à l’eau. La fragilité des transparences disparait dans l’opacité d’une pâte d’épaisseur variable, mais gloutonne.
  Reste la parole du peintre. Le mot montagne. Un alphabet imagé au travers duquel ce qui fut persiste à être. Un rocher, un contrefort, un mamelon, un maquis, un fouillis de vert anciennement buisson, un pin ou un cyprès.
   A moins que les circonvolutions ne soient celles du ciel et des nues.
Similitude des deux représentations, traits communs à la photo et à la toile cette indécision du sens , rejet du vocable imposé.
  Ces toiles et photos fragmentaires méritent une exégèse.
                                                                                                                                                Il faut fouiller armé de son regard comme seul outil excavateur, discerner les traces de ce que vous aimez…ou n’aimez pas.
                                                                                                                                             Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne peut être inclinez vous plutôt vers le ciel, adopterez vous les 

                                                                                                                                                cumulus, vous plairez vous sous la lune.

Federico Tavan et Georges Franco

 

Spopolamento

Qui
morire
è diventato
un modo
come un altro
per tirare avanti

Federico Tavan (Poète Frioulan)

Photo Danilo di Marco

Et si nous considérons la théorie des physiciens , voulant que toutes les autres couleurs de la terre- ces ornements d'apparat et de beauté- les nuances exquises des bois et des cieux du couchant, oui et les velours dorés des papillons et les joues de papillon des filles jeunes ne soient qu'un raffinement de supercherie, nous voyons que les couleurs ne sont pas réellement inhérentes aux choses, mais seulement posées sur leur surface. Et toute cette Nature que nous avons divinisée est maquillée comme la prostituée dont les séductions masquent le charnier intérieur.

Herman Melville.

 

LE STYLE N'EXISTE PAS
(Picabia)
Seule existe la liberté
des renoncements, cette joie
 jamais certaine qui pousse
 a mépriser la limite.
Dans tous ses recoins 
la peinture accumule des moutons de poussière
et ce dérisoire troupeau arpente sa géographie.
A la barbe des fils rectilignes 
et trop bien tendus on peut 
se laisser emmêler dans la toile de cette araignée
 a l'affut .
Si son labyrinthe ne résiste pas aux multiples chevelures d'Ariane 
autant l'emprunter en flânant,
en paresseux,
 visiter le clair obscur de ses arrières cours,
 déguster une glace a l'un de ses angles 
et y trouver matière a jubiler.
L'avidité ne se contente pas des fruits de son jardin elle chaparde aussi le miel de la ruche voisine,
insensible à la peine des abeilles laborieuses. Le style n'existe pas. Mais il faut en avoir. Tant d'aiguillons t'y poussent. Renonce, seule la liberté vient picorer dans mon poulailler

(Georges Franco)

 

Photo Bettina Clasen

"Que n'ai je un pinceau qui peut peindre les fleurs du prunier avec leur parfum"`

SATOMURA SHOHA

Pourquoi ne pas utiliser un vaporisateur? Pourquoi uniquement le parfum et pas les reliefs du tronc et des branches ? Et les fruits? Et l'air qui les fait frémir? Et la terre qui colle aux racines? Et le soleil qui les abreuve de chaleur? Pourquoi pas un prunier tout simplement? Que n'ai je un prunier qui me gave de ses fruits de la couleur de ses fleurs, et dont le parfum réjouirait mes narines? Ou peut être, que n'ai je un pinceau?

(Georges Franco)

 

photo Michel Carmantrand

FRNC Collages Peintures  Éditions Crise et Tentation

Mon travail sur les militaires publié par les éditions Crise et Tentation avec un texte de Michel Carmantrand "Le militaire à fragmentation"

https://crise-tentation.jimdofree.com/catalogue/

 

Peut-être ces militaires de papier sont-ils comme des éphémères, dotés d’une durée d’existence limitée, n’excédant pas l’année en cours.
C’est une idée, cela, d’en tenir des tout frais en réserve à disposition de l’État et de s’en débarrasser début janvier par volatilisation pure et
simple. C’est simple, c’est propre, net et sans bavures, on n’en verra plus traîner de bar en bar en bedonnant une existence inutile après leur
mise à la retraite. Je plaisante, bien sûr, le militaire, du train où cela va, actif comme il est partout, dessine un futur à l’humanité.

    Toujours est-il qu’après qu’il ait été, normalement, si tout se passe bien, réduit en pièces par une populace déchaînée, il s’agira de
photographier le corps mutilé, les traces de l’agression, le théâtre du crime, de recueillir les restes et de reconstituer patiemment le militaire
martyrisé. Sans aller jusqu’à le recoudre, certes, mais un peu comme un puzzle, si vous voulez. Certaines parties resteront vierges, forcément,
qui auront été emportées par le vent et par les charognards, ce qui donnera au résultat un aspect parfois assez monstrueux, entre Bacon et
Villeglé pour aller vite : un hybride jouant du vide et du plein, de la chair et de son absence, de la représentation et de son absence, du manque battant au cœur de l’image et presque la définissant, tant l’image, je le rappelle, est une abstraction.

Michel Carmantrand