« Le parcours autoroutier […] évite, par nécessité fonctionnelle, tous les hauts lieux dont il nous rapproche; mais il les commente […]. »
Marc Augé

« Le musée partout, le musée de tout, qui crée, sur les autoroutes et ailleurs une « esthétisation patrimoniale ».
Nicolas Couégnas

Peninsula


N’eussent été les océans il serait presque possible de faire le tour de la planète par l’autoroute,. car même les mers et les montagnes sont surplombées de ponts autoroutiers.

Utiliser l’autoroute offre l’ambivalence du toujours semblable mais jamais le même. Le sériel de la déclinaison et de l’unicité alliés à l’informel et à l’aléatoire murmurant leur inconvenance aux structures linéaires imposées.
Tout doit changer pour rester le même. Dans ce » non-lieu »l es signes sont universels et nomenclaturés. Couleurs, lettres,chiffres forment comme un  espéranto . Le pays traversé change mais ne se mue jamais totalement en paysage. La cicatrice est trop profonde et ne permet pas la ligature entre les réalités divergentes de l’asphalte, du ciel et de la géographie.
Limitée par le tranchant des barrières en amont et en aval, la violence de l’uniformité impose la route comme inextinguible.Pourtant le but est espéré autant que redouté. S’arrêter c’est nier la permanence de la vision et l’opposer à l’aspiration, au trait, à la ligne discontinue, au flou et se laisser absorber par le tellurique. Mais se pas atteindre le but, la destination,  est un rejet, un vide, une invite au dédain. Une impossibilité.
La monotonie de l’asphalte et de la similitude constante des panneaux et du marquage au sol est attaquée par le fragile et fugace alignement d’images du pays traversé. Ce pays est totalement façonné par l’activité humaine. L’autoroute ne peut être un moyen de découverte. elle ne s’ouvre pas à la machette, mais s’étire en terrain connu. Et elle n’est pas un lieu de promenade. La vitesse en est l’élément majeur.
La perspective aspire à la vitesse et incite à une vision simplifiée des lignes. L’horizon impose une stabilité feinte.
La vitesse est une recherche constante de l’humanité. De  nombreuses tentatives de la rendre visible picturalement ont permis à celle ci de se rire de leurs efforts. En effet par divers procédés les créateurs d’images, que ce soit les peintres ou les photographes ont parfois tenté de rendre l’illusion de la vitesse. Néanmoins l’instantané étant la vitesse absolue il libère l’autoroute de cette illusion.

L’autoroute est le lieu commun

Mais ce qui est commun résulte d’un attachement qu’il  faut se résoudre à dépasser. De nombreux plasticiens s’y sont attelés. Surtout ceux produisant des images en 2D. Planes.
L’autoroute est aussi un lieu commun de la peinture. La vitre du pare-brise sert de cadre à ce tableau idéal.Mais cette toile nie l’artificialité nécessaire au paysage.
Abolition du paysage, du pays, remplacés par des représentations conceptuelles. Le pays se métamorphose en panneau de signalisation touristiques et culturelles, ou kilométriques. « Le paysage ne peut exister tant que nous sommes comblés par une présence sans délais » Anne Cauquelin. L’invention du paysage. Si le paysage est l’Icône de la Nature l’autoroute transforme celle ci en métaphore du non-lieu.
L’autoroute à la croisée du paysage urbain et rural annihile tout romantisme épique. Cette anthropisation s’accompagne d’une banalisation féconde. Si l’autoroute est un lieu commun ce n’est pas uniquement parce qu’il a été revisité de multiples fois par la photo, le cinéma ou la peinture c’est aussi le lieu ou presque chaque habitant humain de la terre est passé au moins une fois. Il a donc investi une part de mémoire individuelle et collective. Et cette mémoire fait fréquemment disparaitre le pays traversé au profit du ruban gris noir fantasmé. Les éclairs bleus des panneaux routiers , flashs qui nous forcent à ne pas nous détourner du but, sont également universels. Même si la calligraphie s’adapte au pays traversé les normes des couleurs et du graphisme imposent l’abolition des différentiations culturelles et visuelles.
Disparition  de la notion de voyage même, au profit de celle de transport.A rebours du proverbe qui fait commencer tout trajet par un premier pas, l’autoroute, comme l’avion ou le TGV suspend celui-ci. Le pied ne se posera qu’une fois arrivé.

Je travaille à partir de photographies banales prises, pour cette série, lors de la traversée de plusieurs pays européens.
 Peninsula est le nom générique de toutes ces toiles, réalisées après ce périple. Mais il ne fait pas seulement référence à la géographie. L’autoroute est comme la terre pénétrant l’eau, un monde enclos, délimité par des lignes encloses en elles mêmes. Sillonné de lignes, tracées par la peinture, par la vitesse, par les lumières. 

Chaque peinture pourrait représenter n’importe quel portion de l’autoroute. Même si toutes font référence à un non-lieu précis servant de modèle, elles signent, comme les photos qui les inspirent l’obsolescence de la cartographie.
Alors qu’est ce qui impose la nécessité pour la toile d’être la représentation d’une photo que j’ai prise d’un non-lieu qui n’est pas? Peut être justement ce lieu commun de la peinture qui est d’être. Une tâche formée de pigments liés posée sur une toile, ou une illusion figurative d’immortalité, au sens académicien, comme être fugace et entraperçu le long du déroulé immuable de l’antithèse du voyage touristique qu’est l’autoroute.

Péninsule - Acrylique sur toile - 89X116

Péninsule-Acrylique sur toile-30X60

Péninsule-Aquarelle et huile miscible à l'eau sur toile - Tondo 80

Péninsule-Aquarelle, acrylique et huile miscible à l'eau sur toile - Polyptyque , deux toiles  54X46

Péninsule-Huile miscible à l'eau sur toile - Polyptyque , deux toiles  117X89